La distanciation

Un an que nous côtoyons la COVID et que le terme « distanciation sociale » nous est malheureusement et malencontreusement devenu familier, c’est pourquoi j’ai eu envie de revenir sur l’origine théâtrale de ce terme.

Eh bien, c’est Bertolt Brecht (10 février 1898 – 14 août 1956, Le cercle de craie caucasien, Mère courage, La vie de Galilée…) qui inventa ce terme (Verfremdungseffekt en allemand) afin de réduire la passivité du spectateur, en mettant en évidence les discours orchestrés par le spectacle. Le théâtre est déjà une distanciation de la vie. Il n’est bien entendu pas la vie, même si Peter Brook nous dit que « le théâtre est la vie, en plus lisible ». Brecht souhaitait rendre l’homme conscient de sa capacité à transformer son environnement. La technique la plus simple pour y parvenir est de casser le quatrième mur, un des personnages prenant à partie le spectateur en l’interpellant directement. C’est donnant-donnant : le public nous pousse à être meilleurs, plus justes, plus courageux dans nos prises de positions et quant à lui, le public en ressort avec un pan de vie éclairé.

Mais qu’en est-il d’un public distrait, qui viendrait au théâtre par convention sociale ? Le spectacle pourrait-il devenir mauvais, ou pire, insignifiant ?

Est-il juste de porter la responsabilité sur le public ? Je dirais que ce n’est pas injuste. En effet, pour étayer mon point de vue, je voudrais porter l’attention sur les bulletins d’adhésions que proposent certains théâtre. La démarche, à priori, n’est pas mauvaise, elle permet de rendre accessible la culture à moindre prix. Une fois par mois/semaine, vous savez qu’une représentation vous attend. C’est votre « sortie culturelle ». Mais quelle est votre motivation à voir cette pièce ? Quelle sera votre attitude en tant que spectateur ? Car, le rôle du spectateur est loin d’être insignifiant, même si parfois les conditions sont rudes pour lui : sièges inconfortables, un voisin qui tousse, baille, pète… il fait trop chaud, trop froid… les raisons sont multiples et pourtant vous avez choisi de participer à ce qui va se jouer maintenant. Par vos applaudissements soutenus, votre silence attentif vous faites partie intégrante du spectacle et même dans le cas où vous seriez mécontent, vous pourriez le manifester tout autant. Vous êtes avec les acteurs, et les acteurs jouent pour et avec vous. Pour approfondir cette réflexion, je vous invite à lire le texte de Pierre Notte « l’effort d’être  spectateur ».

J’ai souvent été amenée à penser qu’une  pièce de théâtre, bonne ou mauvaise, ne valait rien sans public. On ne monte pas un spectacle pour qu’il reste enfermé au fond d’un tiroir. On sait ce qu’il vaut lorsqu’il a été confronté au public. Mais ce n’est pas une raison pour présenter un travail non abouti au public. C’est d’ailleurs pour cela qu’avant la première, on fait quelques représentations devant un public composé – de préférence – d’amis objectifs afin d’en retirer les derniers conseils qui vont nous permettre d’être les plus justes possible le jour de la première. Peter Brook répondait à sa fille lorsqu’elle lui demandait ce qu’il pensait du théâtre expérimental : « Ma fille je vais te dire quelque chose, lorsque tu fais un nouveau plat de cuisine, que tu expérimentes une nouvelle recette, tâche de faire cette recette le jour où nous n’avons pas d’invités à la maison ! »